Ballons et fusées sondes aux Kerguelen
Parmi les innombrables essais qui se sont déroulés aux TAAF, la Terre Adélie et Kerguelen ont été les bases les plus utilisées
Dès les années 50, les scientifiques sollicitent les instances aérospatiales naissantes, afin de pouvoir étudier l’environnement terrestre, les différentes couches de l'atmosphère ainsi que les rayonnements et effets solaires.
Les bases de Port Martin en Terre Adélie et de Port aux Français aux îles Kerguelen voient le jour en 1950. La France, avec ces 2 bases possède des sites exceptionnels de mesures météorologiques.
En 1952, malgré l'incendie de la base de Port Martin, les premiers lancements de ballons météorologiques débutent en terre Adélie. Il faudra attendre 1956 pour que la base de Dumont d’Urville émerge des glaces.
De 1956 à 1957 l’Année Géophysique Internationale, organisa un programme commun d’observations des phénomènes géophysiques sur toute la planète. Ce sera le point de départ de la vocation scientifique des TAAF. Le pôle sud magnétique se situe en Terre Adélie ; Kerguelen, situé sous la zone aurorale antarctique, est aussi le seul point émergé de haute latitude géomagnétique sud correspondant à un point conjugué magnétique émergé de haute latitude nord (Sogra, près d’Arkhangelsk en Russie). Cette situation va permettre des observations simultanées aux deux extrémités d’une même ligne de force du champ magnétique terrestre.
Le 19 décembre 1961, le Général De Gaulle signe la loi créant le CNES (Centre National d'Etudes Spatiales).
En février 1962 le premier lâché de ballon sonde hors de métropole à lieu aux Kerguelen.
Ainsi débute la campagne entièrement financée par le CNES en coordination avec l'administration des TAAF et avec la collaboration scientifique des USA et de l'URSS.
Le but de cette campagne est l'étude des phénomènes liés aux aurores polaires situées aux deux extrémités d'une même ligne de force du champ magnétique terrestre Kerguelen-Yarensk.
Mais les ballons sondes utilisés n’ont rien à voir avec ceux lancés par Météo France aujourd’hui, et les conditions de vents aux Kerguelen nécessitent la construction d’un mur pare vent, et d’une usine à hydrogène pour le gonflage des ballons.
Sur place le matériel est déchargé du bateau à la main et c'est en colis d'une quarantaine de kilo que sont acheminés les morceaux du mur sur le Plateau des Drumlins.
Ce mur pare vent mesurait 19mètres de haut et 25mètres de large pour une masse de 20tonnes. Il aura abrité les lancés par vents forts.
Une série de 22 ballons sondes vont être lâchés des Kerguelen.
15 étaient de fabrication française (volume d’environ 3000m³) et 7 de fabrication américaine.
Un des ballons français d'un volume de 5000m³ et équipé d'une nacelle de mesures de rayonnements cosmiques, décollera de la plate-forme hélicoptère du bateau de rapatriement, le Galliéni, prédécesseur des Marion Dufresne I et II.
En complément des lancés de ballons, des mesures optiques effectuées par des photomètres, fabriqués par le Service d'Aéronomie Français, sont faites à partir du sol sur les deux points situés à l'extrémité de la ligne, en collaboration avec l'Institut de Géophysique Polaire d'URSS.
Les sondages à une altitude moyenne de 40 km ont permis la mesure des rayons X émis par les électrons lors des aurores et la détection des protons de basse énergie lors des éruptions solaires.
Aujourd’hui il ne reste rien du mur pare vent. Seule les cartes IGN que nous utilisons sur base nous rappellent son existence et sa position à proximité de l’actuelle station météo.
Fort de son expérience avec les ballons sondes, le CNES créé une division fusées sondes.
C’est à la société Sud-Aviation que revient la conception des fusées, Matra et Thomson sont choisis pour fabriquer les instruments embarqués de mesure et de communication au sol. Différents modèles seront testés au centre de tirs d’Hammaguir en Algérie, ainsi qu’au Centre d’Essais des Landes (CEL).
En mai et juin 1966 des lancements de fusées Dragon ont lieu à Andøya en Norvège, afin de préparer la campagne de tirs de Terre Adélie demandée par le Groupe de Recherche Ionosphérique (GRI). Les hommes qui sont volontaires pour le pôle sud vont y être sélectionné.
La fusée Dragon de Sud-Aviation est bi-étage.
Elle sera déclinée en 3 versions, Dragon I, IIB et III.
Elle vole pour la première fois en 1962.
Suivant les versions, les caractéristiques varient légèrement.
En moyenne, les fusées Dragon pesaient 1200kg pour une hauteur de 8,16m. Leur charge utile était de 60kg pour une altitude de 475 à 560km.
Ces fusées étaient stabilisées par rotation grâce à des petits propulseurs placés en extrémité d’empennage.
C'est du port du Havre que le brise-glace danois, le Thala Dan embarque le matériel nécessaire à la campagne de tirs. Le bateau sera rejoint à Hobart (Tasmanie) par l'équipe du CNES, constituée de 26 personnes, pour une traversée d'une semaine sans aucun confort et dans des conditions d’hygiènes déplorables.
A l’arrivée, ce sont 600tonnes de matériels qui vont être déchargé durant 3 semaines de labeurs et de manutentions difficiles au milieu des blocs de pierre et de glace.
Le matériel se compose des fusées Dragon, des instruments de mesures embarqués et de leur rampe mobile mais aussi de l'environnement nécessaire qu'il faut monter ou bâtir: sable, béton, poste de commandement, station de réception des mesures, groupes de production électrique, abris de montage, voie ferrée pour acheminer les fusées sur le point de lancement …
La première aurore australe se fait attendre, 40 jours de passés, et toujours rien.
Le premier lancement aura lieu le 26 janvier 1967. La fusée sonde Dragon D024 atteindra l’altitude de 340km. Tous les hommes de la base étaient dehors, à la limite du périmètre de sécurité, à environ 400m. Appareil photo ou caméra à la main tous cherchaient à cadrer les manchots adélie au premier plan.
La deuxième fusée sonde Dragon D025 sera lancée le 28 janvier, les 2 dernières (D026 et D027) le 29 janvier 1967.
Les mesures effectuées par les instruments situés dans la tête de la fusée ont permis une connaissance plus approfondie sur la densité et la température des particules ainsi que sur la répartition et l’échange des électrons et des protons dans la couche ionosphérique. Cette campagne de tirs a été une réussite exceptionnelle.
Rendez-vous est pris pour 1968, mais cette fois à Kerguelen pour une nouvelle campagne de tirs Dragon.
Le 2 janvier 1968, l'équipe de quatorze personnes partie d'Orly en avion, rejoint la base de Port aux Français après plus d'une semaine de navigation sur le bateau des Messageries Maritimes affrété pour l'occasion par les TAAF pour installer l'unité mobile.
La deuxième équipe chargée des montages et réglages des instruments de mesures embarqués sur les fusées Dragon IIB est arrivée et le 15 mars malgré une visibilité restreinte et un fort vent la première fusée est lancée. Il s'agit d'une fusée sonde Dragon (D251) lancée à plus de 350km d'altitude.
Interrompus par une tempête, les tirs reprendront le 27 mars avec le lancement de la deuxième fusée (D252) pour se finir sur un troisième tir le premier avril (D253).Des mesures au sol ainsi que huit lancés de ballons sondes hydrogène d'une capacité de 3000m³ ont complété les trois tirs.
Le départ de la mission a lieu le 10 mai.
Cette campagne de tirs aura permis de faire des mesures sur les particules ionisantes, et sur les ondes TBF (Très Basses Fréquences).
Le pas de tir :
En 1973 débute la coopération franco-russe avec le Comité Intercosmos, le bâtiment situé à l’une des extrémités du pas de tir est rebaptisé Fusov (pour Fusées soviétiques).
Intercosmos était un programme de coopération internationale mené par l'Union soviétique à partir des années 1960. Ses objectifs étaient avant tout politiques : il s'agissait alors d'établir de bonnes relations avec les pays d'Europe de l'Est.
Ce programme concernait cinq domaines d'étude : la physique, la météorologie, la biologie et la médecine, les télécommunications spatiales, et l'étude des ressources naturelles de la Terre et la protection de son environnement.
Dans le cadre du programme russe, une coupe méridienne de la haute atmosphère est faite en effectuant différents tirs simultanés de fusées M-100. Les lancés de fusées sondes ont lieu sur différents sites répartis du Pôle Nord au Pôle Sud. L'Archipel des Kerguelen fait partie des sites choisis sur cette ligne.
En 1973, 18 fusées sondes M-100 seront tirées depuis Fusov afin d’effectuer des sondages météorologiques. La M-100 était une fusée bi-étage à propergol solide.
Elle était lancée à 90km d’altitude. L’ogive une fois larguée redescendait sous parachute en une cinquantaine de minutes. Au cours de la descente les données de température et de pression étaient transmises par radio.
En dessous de 50km, un radar pouvait être utilisé pour suivre la coiffe afin de déterminer les vents en altitude.
En 1974 nouvelle campagne de tirs M-100, cette fois il y aura 19 lancements.
Grâce aux étalonnages réalisés avec des fusées météo de différentes nationalités, la M-100 a pu être intégré dans le réseau météorologique mondial "Rocket".
Une nouvelle expérience menée conjointement par la France et l’URSS via le CNES et le Comité Intercosmos est prévue pour la fin de l’année 1974. Il s’agit de l’expérience ARAKS (ARtificial Aurora between Kerguelen and Sogra).
« Elle consistait à lancer, grâce à une fusée-sonde, une charge utile qui une fois parvenue à haute altitude injecterait un flux d'électrons dans les lignes de champ du champ magnétique terrestre. Les électrons "capturés" suivraient ces lignes de champ jusqu'à pénétrer dans l'ionosphère juste à la verticale du point magnétiquement conjugué du site de lancement en créant une aurore boréale artificielle. Une telle expérience permettrait d'étudier les effets géophysiques associées aux aurores boréales, une meilleure modélisation de la magnétosphère terrestre, ainsi que la localisation précise du point magnétiquement conjugué des Kerguelen.
C'est la première fois au monde que des études sur le sujet sont si poussées. C'est aussi la première fois dans les études en haute altitude que l'on provoque le phénomène que l'on veut observer. »
En octobre 1974, il faudra 6 jours pour décharger et transporter jusqu’à Fusov les 200tonnes de matériel nécessaire à la campagne de tir.
Le premier tir ARAKS était prévu en décembre 74 avec une fusée Eridan française lancée depuis les Kerguelen. L'intérêt de lancer depuis Kerguelen réside dans le fait que son point magnétiquement conjugué se situe en Union Soviétique, à Sogra (région d'Arkhangelsk).
Le lancement nécessite des conditions météorologiques, magnétiques, optiques et atmosphériques excellentes tant aux Kerguelen qu'à Sogra. En raison des conditions climatiques de ces 2 régions, la décision est prise de reporter le tir au mois de janvier 75.
Comme en 1967, le CNES fait appel à Sud-Aviation pour cette nouvelle campagne de tirs aux Kerguelen.
L’Eridan est une fusée bi-étage, son premier vol remonte à septembre 1968.
Haute de 8,35m pour un diamètre de 56cm, elle pèse environ 2tonnes au lancement. Elle peut emporter une charge utile de 130kg à 425km d’altitude. Une version "améliorée" permettait de lancer 250Kg à 220km d’altitude.
Ce seront les dernières expériences du CNES concernant les lancements d’Eridan. En juin 1975 après l’échec du lancement d’une fusée sonde Véronique, le CNES décide de se consacrer uniquement aux lancements de satellites.
La fusée sonde Eridan E012 sur le pas de tir de Fusov :
Le 26 janvier 1975, la fusée Eridan E012 pourra enfin décoller. A Kerguelen comme à Sogra, le ciel est clair.
Le lancement se fait en direction du nord magnétique, quasiment dans l’axe de la ligne de champ.
Le but de ces tirs est de déclencher des aurores boréales en propageant des électrons sur la ligne de force.
Les électrons suivent la ligne de force du champ magnétique et l'Aurore se déclenche en son extrémité arctique. A Sogra, au Nord de la Sibérie des instruments de télémesures observent les résultats.
Un timbre est édité pour l’occasion :
Eridan E012 en attente à Fusov :
« Le second tir intervient le 15 février 1975, la fusée Eridan part cette fois en direction de l'Est magnétique afin d'étudier la dérive des électrons.
Lors des deux lancements, tout a fonctionné comme prévu : le canon à électrons, de fabrication soviétique, a été démarré à 135 km d'altitude et a envoyé dans trois directions des jets de 15 et 27 keV (kilo électrons Volts). La "neutralisation active", destinée à éviter la polarisation de la charge utile par les jets d'électrons a été réalisée grâce à l'émission d'ions Césium. L'altitude maximale atteinte a frôlé les 200km.
La charge utile, qui pesait en tout 290kg, comprenait aussi plusieurs appareils de mesures :
- Neuf détecteurs d'électrons "Channeltrons", couplés à des analyseurs électrostatiques du C.E.S.R. (Centre d'Etudes Spatiales des Rayonnements), ils permettent de donner le spectre énergétique des électrons observés, ainsi que leur répartition angulaire.
- Deux détecteurs à grand angle.
- Un spectromètre soviétique de basses énergies (1 à 5 keV) destiné à étudier la rétro diffusion des électrons par l'atmosphère.
La pointe de la fusée (150kg) abritait aussi plusieurs instruments :
- Deux détecteurs à grand angle supplémentaires.
- Une station de télémesure soviétique qui a étudié le bruit électromagnétique engendré par le flux d'électrons.
- Des équipements du Groupe de Recherches Ionosphériques (G.R.I.) pour réaliser des mesures électriques en basses, très basses et hyperfréquences, ainsi que des mesures magnétiques en basses et très basses fréquences.
La pointe était éjectée alors que la fusée atteignait une altitude de 80 km. Elle était équipée d'un propulseur de 7kg qui l'éloignait du reste de la charge utile Eridan, et ce afin d'éviter des perturbations lors des mesures d'ondes.
De plus, le CNES avait installé un système de télémesure numérique (256 kBits/s), ce qui constituait une première sur une fusée-sonde. »
Pour les besoins de cette expérience, une soixantaine de Français et seize soviétiques étaient présents aux Kerguelen.
Ont également contribué à l'expérience le Laboratoire de Physique Théorique de l'Ecole Polytechnique, l'Institut d'Astrophysique de Paris et l'IZMIRAN (Institut du magnétisme terrestre, de la ionosphère, et des ondes radio de l'Académie des Sciences Russe).
En URSS, trois stations d'observations ont dû être installées, et un navire (le Borovichi) est venu procéder dans l'archipel des Kerguelen à une expérience complémentaire de télémétrie.
A savoir qu’une petite équipe américaine était présente aux Kerguelen pour étudier, lors des deux lancements, le rayonnement X secondaire. Pour l’occasion des fusées sondes Super Arcas furent tirées. La première 11 minutes avant Eridan (pour mesurer le rayonnement naturel) et la seconde quelques secondes avant le lancement Eridan. La charge utile était maintenue à une altitude supérieure à 30km pendant plus de 7 minutes à l'aide d'un parachute.
Les fusées sondes Super Arcas ont été développées par les Etats-Unis en 1968, principalement pour des relevés météorologiques (températures, pressions, mesures de l’ozone, mais également pour de petites expériences biologiques). Elles sont dérivées du modèle Arcas (1959) également fabriqué par la Société ARC.
Elles pouvaient emporter une charge utile de 4kg à 100km d’altitude (ou 8kg à 40km).
Leur masse était de 43kg, pour 2,70m de long, 11cm de diamètre et 33cm d’envergure.
Leur mise en œuvre ne nécessitait que 2 personnes, elles étaient chargées dans un tube de lancement.
Aux Kerguelen, les tirs suivant auront lieu :
2 fusées Super Arcas le 26 janvier 75, jour du lancement de la 1ère Eridan.
1 fusée Super Arcas le 3 février 1975.
2 fusées Super Arcas le 15 février 75, jour du lancement de la 2ème Eridan.
Une autre expérience ARAKS avait été prévue. Elle aurait cette fois été lancée de Kapoustine Yar dans le cadre du programme Vertikal. Le point magnétiquement conjugué aurait été l'Ile de la Réunion. Cependant, une telle réédition n'a jamais été menée à bien.
En plus des 2 fusées sondes Eridan du programme ARAKS, 20 fusées météo M-100 seront tirées en 1975.
En 1976, 20 fusées M-100.
En 1977, 19 fusées M-100.
En 1978, 20 fusées M-100.
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